Depuis 2012, dans la périphérie de Martissant, sous l’impulsion conjointe du projet Maîtrise d’Oeuvres Urbaines et Sociales (MOUS)i, des femmes s’activent, via l’initiative communautaire « Marche exploratoire/Mach eksploratwa », au développement de leurs quartiers respectifs. En effet, cette activité se veut être un outil de combat : celui de l’autonomisation des femmes, celui visant à promouvoir et à valoriser l’apport des femmes au développement.
Il est 10:17 heures AM, au Parc de Martissant, dans une ambiance très calme ponctuée de chants d’oiseaux, Rolando Etienne, animateur du projet MOUS, Fabienne Garçon et Dieula Augulna, deux jeunes femmes leaders des « marches exploratoires » à Deslouis et à Decayette, s’accordent à parler, à tour de rôle, de cette initiative communautaire.
Les « marches exploratoires », marcher pour explorer, est une activité organisée annuellement à Martissant depuis tantôt sept ans avec l’accompagnement de la FOKAL. Des groupes de femmes issus de différents sous-quartiers marchent pour se réapproprier l’espace publique et briser les stéréotypes liés au modèle « femme au foyer ». Identification de ruelles et corridors, construction de rampes et de murs de protection, installation de lampadaires telles sont les différentes réalisations menées par ces groupes de femmes.
A quelques kilomètres, au sud-ouest de la capitale, se situe le quartier de Martissant, troisième section communale de Port-au-Prince, où s’entassent environ 300 000 habitantsii répartis sur une quinzaine de sous-quartiers s’étendant à hauteur du morne l’Hôpital au littoral de la route nationale no 2. Cependant, ce quartier comme les autres quartiers populeux de Port-au-Prince fait face à toutes sortes de problèmes sociaux : accès limité aux services de base et violences récurrentes perpétrées par des groupes armés, toutefois, à Martissant, les femmes ne lésinent pas leurs efforts en vue de participer au développement de leurs zones respectives.
Une initiative pour l’implication active des femmes
Depuis 2012, des femmes à Martissant s’approprient de l’initiative « marches exploratoires » pour s’impliquer activement dans le développement de leurs quartiers respectifs, martèle Rolando Etienne. Ce dispositif est le résultat issu de différents échanges lors d’une formation, en avril 2011, avec ONU Femmes dans le cadre d’un projet baptisé « villes sécuritaires »visant à réduire la prévalence de la violence des femmes et des filles dans les espaces publics, précise-t-il.
Fabienne Garçon, de Decayette, raconte que les « marches exploratoires » est un outil grâce à laquelle des groupes de femmes mènent le leadership de leurs quartiers. Des femmes se sont réunies pour marcher afin d’identifier les différents problèmes liés à l’infrastructure et à l’insécurité, existant au sein de leurs communautés et y apporter des solutions durables, poursuit- elle. Le leadership des quartiers, les grandes décisions reviennent trop souvent aux hommes, conclut-elle avec véhémence.
Dieula Augulna qui habite à Deslouis, rajoute en expliquant le principe de base de cette initiative communautaire. Les marches exploratoires entendent former quinze femmes leaders sur des thématiques clés tels que : Violence contre les femmes, Insécurité dans l’espace public, Cartographie et Écriture de projet. Ensuite, ce réseau de quinze femmes formées, accompagné des formateurs, auront à leur tour à former une trentaine de femmes pour la réalisation des marches exploratoires, nous a-t-elle promptement expliqué.
Autonomisation et valorisation des femmes
Malgré les contextes socio-économiques difficiles que subissent, majoritairement, les femmes en Haïti, elles s’aventurent, en quête d’autonomisation, tant au sein de la cellule familiale que dans la sphère publique. Ma participation à cette activité fait de moi une femme autonome, en ce sens que je n’ai pas besoin de quelqu’un pour me dire quoi faire. J’identifie le problème, je l’analyse et puis j’y trouve une solution sans l’aide de personne, nous rapporte Fabienne Garçon, l’air fière.
Plus de cinq projets durables réalisés dans cinq quartiers différents par le biais des « marches exploratoires ». 45 jeunes femmes organisées régulièrement par quartier mènent des projets importants au sein de leur quartier respectif. Ce contribuant à les rendre plus autonome, poursuit-elle tout en se vantant de sa fierté d’être une femme libre et autonome dans ses décisions.
Si les « marches exploratoires » sont des activités qu’on pourrait qualifier d’opération « coup de poing », néanmoins, elles servent aussi de tremplin à lancer des projets et des initiatives durables pour l’autonomisation et la participation collective des femmes dans le développement. Certaines marches exploratoires donnent naissance à des organisations de femmes dans les quartiers qui continuent à renforcer les efforts de changement et d’amélioration du cadre de vie dans les quartiers à Martissant tout en continuant à développer le leadership féminin, affirme Rolando Etienne.
Par ailleurs, il rassure que cette activité permet de changer de paradigme par rapport aux discours dominants dans la société : homme, femme, chacun à sa place. En dépit de l’irresponsabilité de certaines femmes à s’impliquer par peur d’abandonner leurs charges familiales, elles sont nombreuses à participer au développement de leurs quartiers grâce à l’initiative des marches exploratoires, conclut-il.
Les marches exploratoires, nécessité d’une mise en application collective
C’est au début des années 1990, au Canada, que les « marches exploratoires » des femmes sont apparues, lit-on dans « Guide méthodologique des marches exploratoires », 2012, Editions du CIV. Elles sont, depuis, utilisées dans plusieurs autres pays. Toutefois, assez récente en Haïti, elles ne sont pas collectivement exploitées.
Face aux résultats concrets des « marches exploratoires », certains ne cachent pas leur satisfaction. Cet outil est très efficace et devrait être dupliqué partout dans le pays, selon Carline Fermont, une habitante de Cajou. Ce serait un grand pas vers l’implication des femmes au développement, termine-t-elle.
L’État et les organisations locales doivent tôt ou tard mettre un accent particulier sur la participation des femmes au développement. En attendant, les femmes à Martissant montrent l’exemple.
Cherlie Rivage
i Un projet lancé en 2012 au Parc de Martissant à l’initiative de la Fondasyon Konesans ak Libète (FOKAL).
ii 293 041 habitants à Martissant, dont 42% a moins de 18 ans selon l’Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique-IHSI (estimation mars 2015).