Discours MDPL_ Fonds d'Alembert 2015

Je me réjouis de participer en compagnie de Madame l’Ambassadeur de France, au lancement des travaux et activités de cette nouvelle édition du Fonds d’Alembert sous le thème « Changements climatiques et transformations des sociétés : exemplarités haïtiennes ». C’est la troisième occasion qui se présente à nos deux institutions, auxquelles l'Université d'Etat d'Haïti s'est toujours associée, pour qu’elles collaborent sous les auspices du Fonds d’Alembert dans le but de susciter le débat autour de problématiques d’intérêt commun. En effet, l’Institut français d’Haïti et FOKAL ont organisé en 2005, une série de conférences sur « villes et citoyennetés » ayant pris en compte le basculement qui s’opérait ici et ailleurs dans l’équation démographique. En effet, plus de la moitié de la population mondiale vit aujourd’hui dans des villes, et Haïti n’a pas échappé à cette tendance. Nous interroger sur la complexité de cette nouvelle donne nous paraissait évident. Ceci nous a amené une nouvelle fois, en 2008 à traiter ensemble du thème de la gouvernance, ce concept pris dans ses déclinaisons multidimensionnelles : politique, institutionnelle, sociale, économique, locale, spatiale etc.

Qu’aujourd’hui nous proposions d’aborder le thème du changement climatique peut ne pas surprendre. Au contraire, il semble être plutôt dans l’air du temps. Depuis le sommet de la terre à Rio en 1992 où fut créée la Convention Cadre des Nations Unies pour le Changement Climatique (Haïti en fut signataire et créa par la suite le Ministère de l’environnement), chaque année se tient dans un pays hôte, la conférence des parties (la COP) pour débattre de l’impact des dérèglements de la planète dans des assises internationales. En dépit des objections des « climatosceptiques », les effets et les menaces sont bien réels : températures élevées, fonte des calottes glacières, phénomènes météorologiques extrêmes plus fréquents et intenses, désertification avec de graves conséquences telle que la diminution de la superficie des terres arables, les pénuries d’eau, la réduction des réserves alimentaires et l’appauvrissement accéléré de la faune marine, la multiplication des inondations et l’allongement des périodes de sécheresse, la modification des modèles pluviométriques et la diminution des réserves d’eau douce disponible. A noter que les études sur la résilience climatique prennent principalement en compte les îles, les villes côtières et l’agriculture.

Les débats sont souvent houleux, les positions des pays du sud n’étant pas nécessairement en harmonie avec celles des pays du nord et des pays émergents, sur les modalités et les effets du développement capitaliste, productiviste à outrance, qui domine l’économie mondiale depuis cinq siècles. Nous en sommes aujourd’hui à la COP21 qui se tient comme vous le savez à Paris en novembre prochain, à laquelle Haïti participera. Nouvelle occasion d’aborder ces questions entre États, mais en présence également d’organisations de la société civile invitées à faire entendre leur point de vue, souvent contradictoire.

Par ailleurs, les objectifs du développement durable qui viennent d’être votés à l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre dernier ont ciblé également des éléments relatifs au climat et à l’environnement. L’objectif 6 concerne l’accès à l’eau potable et l’assainissement ; le 7, l’accès à l’énergie propre ; le 12 porte sur la consommation et la production responsables ; le 13 sur les actions en faveur du climat et les 14 et 15 sur la nécessaire qualité de vie pour tous quelque soit le milieu de vie. Des vœux pieux ? Sans doute, on connaît les maigres résultats obtenus par rapport aux objectifs du millénaire pour le développement. Mais il importe néanmoins que ces questions fondamentales pour notre avenir soient posées et débattues au plus haut niveau. Même lorsque les objectifs ne sont pas de nature contraignante pour les Etats et les sociétés, ils restent et resteront des références.

Il semble donc tout à fait à propos de lancer cette semaine de réflexion et d’activités sur le thème du changement climatique et transformation des sociétés. En revanche, ce qui peut surprendre c’est d’avoir choisi de montrer les « exemplarités haïtiennes ». 

Car on connaît le verdict sur l’état de l’environnement dans notre pays et il est sans appel. L’année dernière encore, en mars 2014, Oxfam America a produit un rapport d’une cinquantaine de pages, intitulé « Adaptation aux changements climatiques, le cas d’Haïti », et je me permets d’en citer l’introduction :

« Les catastrophes (tempêtes, inondation, sécheresse) ont des effets dévastateurs en Haïti. Les Haïtiens les plus pauvres, dont les femmes, les enfants, et les vieillards sont spécialement vulnérables. Les signes du changement climatique comme les hausses de températures et une pluviométrie atypique, sont évidents. Sans les actions adéquates, le changement climatique tend à aggraver les dégâts causés par les catastrophes et à augmenter la pauvreté. Les perspectives d’adaptation au changement climatique sont maintenant liées à la reconstruction post-séisme. Mais Haïti fait face à de grands problèmes financiers, de gouvernance, et de compétence. Il est urgent de vulgariser les informations sur les changements climatiques et leurs conséquences dans le but de forcer les décideurs à intégrer l’adaptation dans leurs plans et politiques. »

Le bilan est lourd, et on voit mal comment s’en sortir sur le plan macro. Mais en même temps, le pays n’est pas réductible à ces constats globalement pessimistes. Dans la situation actuelle et en ce qui nous concerne, il existe des initiatives locales et régionales porteuses d’espoir dans des domaines tels que les filières agricoles et de la souveraineté alimentaire, la prise en compte du patrimoine gastronomique, la gestion et la récupération des déchets et l’assainissement, la systématisation des connaissances sur les plantes médicinales, la préservation des ressources et l’aménagement du territoire. 

Ce sont ceux et celles qui ont l’audace et la persévérance de prendre à revers le discours dominant sur nos incapacités, notre pauvreté, nos insuffisances, que nous avons voulu saluer en leur proposant de mettre à profit leurs expériences individuelles et collectives, aussi ténues soient-elles. Je tiens aussi à les remercier tous, intervenants et intervenantes qui ont accepté de participer aux débats et aux activités. Il est important de signaler l'engagement des jeunes, étudiants, doctorants, volontaires, qui ont accepté de se mettre à contribution et de présenter leurs travaux. Je remercie aussi les intervenants venus d’ailleurs qui ont bien voulu s’associer à notre démarche.

Incapacités, pauvreté, insuffisances et tant d’autres tares encore existent bel et bien, et nous sommes tous les jours confrontés saux formes d’obscurantisme qui constituent un frein à toute élan émancipateur. 

Mais nous ne sommes pas que cela. Heureusement. Et à ce compte, je ne saurai terminer sans rendre un public hommage à la paysannerie haïtienne. 

Je viens d’achever la lecture du très beau livre d’Alex Bellande, « Haïti déforestée, paysages remodelés », qui sort ce mois-ci aux Editions du CIDIHCA. Je vous livre en vrac quelques unes des réflexions que l’auteur nous offre, dans la conclusion de son ouvrage, qu’il a titré : « Voir, écouter, comprendre, agir », que je vous invite à lire.

Notre paysage naturel, composé de vastes savanes, de marécages et de forêts, a été modelé par l’action des différentes civilisations et sociétés qui s’y ont installées depuis des millénaires. En plus, les modifications du climat, les ouragans, inondations, glissements de terrain, tremblements de terre, transforment continuellement le relief, les sols et la végétation.

Cet environnement au fil des siècles a subi des mouvements successifs de destruction et de construction des aires arborées. Déforestation pendant la période Taïno ; reforestation au 16ème et 17ème siècles après le génocide indien et le dépeuplement que cela a entraîné ; destruction des aires boisées sous la colonie française bien que l’introduction par les colons d’espèces telles le campêche, contribuera à une certaine reforestation. Mais pendant près de 200 ans, la coupe de ce campêche, de l’acajou et d’autres bois d’exportation changera également le paysage.

C’est dans ce contexte que la paysannerie haïtienne, laissée-pour-compte, va inventer des savoir-faire et de nouvelles formes d’exploitation de l’arbre et reconstruire des espaces peuplés d’espèces pérennes utiles, héritées des Amérindiens ou importées par les anciens colonisateurs : mangue, avocat, arbre à pain, agrumes, bananes, noix de coco, noix de cajou, etc. Mais l’espace est déjà très largement déboisé dès le début du 20ème siècle.

Pour Bellande, « la déforestation actuelle n’est pas simplement le résultat de la production de charbon de bois par une population appauvrie et ignorante, telle qu’on le présente généralement… Le déboisement n’atteint pas non plus aujourd’hui les extrêmes qu’on veut nous faire croire. Avec l’observation et l’écoute et en s’aidant des moyens qu’offre la digitalisation d’images satellitaires, on découvre une réalité beaucoup plus nuancée et complexe que celle des « 1.5% de couverture végétale ». 

Un simple tour virtuel du pays avec les logiciels gratuits d’imagerie satellitaire actuellement disponibles suffira à s’en convaincre. Si le discours alarmiste peut servir à certains, pour des raisons qui parfois n’ont rien à voir avec l’intérêt général, il n’aide nullement à appréhender la réalité et à définir des solutions appropriées. »

Et il cite des exemples comme ceux que nous aurons l’occasion de constater au cours des prochains jours et qui s’inscrivent en milieu rural. D'un autre côté, je pense qu'il est important de ne pas négliger les tentatives d’agriculture périurbaine maintenant que plus de la moitié de la population du pays vit dans des villes, et dans les quartiers précaires de ces villes. 

Mais la production agricole et animale étant encore largement tributaire du monde rural, il est important d’envisager les mesures susceptibles d’accompagner et d’amplifier les évolutions positives. Toute prise en compte du changement climatique, toute politique publique en ce sens ne pourront faire l’économie des travaux scientifiques réalisés dans ce domaine au cours des dernières années, et sans une volonté d’inclusion des populations marginalisées, pour enfin mettre fin à des siècles d’injustice et d’inégalités.

Et à ce compte, je ne saurais terminer sans une pensée spéciale pour notre géographe national Georges Anglade qui nous a laissé trop tôt en ce jour du 12 janvier 2010. George, c’est l’homme de l’Atlas critique, de Espace et liberté, de Mon pays d’Haïti et de ce petit opuscule plein d’idées surprenantes, Eloge de la pauvreté, pour ne citer que quelques unes de ses œuvres. C’est lui qui en 2004, avec lucidité mais encore plein d’espoir sur notre devenir commun, nous disait ceci : 

« A cette société bloquée, anomique pour l’essentiel, figée dans le dérisoire d’affrontements sans portée, ficelée de réseaux parasites, il fallait un électrochoc… Il était possible qu’avec l’appel au réveil de la production, à un État vivant d’une fiscalité de justice sociale, à cette volonté politique de transparence au service des masses, à notre vouloir nous intégrer à la Caraïbe et aux Amériques, à notre détermination à enrichir notre partenariat avec les puissances amies, nous puissions aborder la traversée non pas sans tempêtes, mais sans naufrage. »

Sans commentaires !

Je remercie Madame l’Ambassadeur de France et le Fonds d’Alembert, l’IFH et son Directeur, Monsieur Jean Mathiot, l'Université d'Etat d'Haïti, un merci tout spécial à David Bruchon de FOKAL qui a travaillé sans relâche pour la réalisation de cet événement. Vous avez le programme, je vous invite à participer aux tables rondes et aux autres activités et souhaite à tous et à toutes une semaine pleine d’instruction, de confrontation d’idées et de plaisir.

Merci. 

Fonds d’Alembert

Institut français d'Haïti (IFH)

Fondation Connaissance et Liberté (FOKAL) 

19 octobre 2015

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FOKAL - OPEN SOCIETY FOUNDATION HAITI
143, Avenue Christophe BP 2720 HT 6112
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