×

Erreur

Il a été détecté une séquence qui pourrait signifier une attaque de hacker. Votre demande ne pourra pas être traitée.

Épuration ethnique en République dominicaine – méthode facile en sept étapes

16 juin 2015 Julia Harrington Reddy

Remerciement à Christine Pagnoulle pour la traduction du texte de Julia Harrington Reddy « Seven Easy Steps to Ethnic Cleansing in the Dominican Republic (http://osf.to/1NbbHKM)  » publié par Open Society Justice Initiative. L’auteur, Julia Harrigton Reddy, est conseillère juridique sur les questions de nationalité à Open Society Justice Initiative.

Des milliers de Dominicains redoutent l’arrivée du 17 juin : ils craignent d’être expulsés de leur patrie, exilés dans un pays étranger où beaucoup n’ont jamais mis les pieds. Là, ils se retrouveraient perdus, apatrides, à moins qu’ils ne réussissent à repasser la frontière, mais pour se retrouver sans papiers dans leur propre pays. C’est une bien sombre perspective, avec peu d’espoir à l’horizon. 

Pour certains de leurs compatriotes, ce sera la fête. D’aucuns, l’esprit malade, fétichistes de la pureté ethnique, s’y préparent depuis des années, mettant en place un processus de purification ethnique derrière un écran de fumée juridique.

Que diront les journaux ? Ils parleront de la déportation d’immigrés haïtiens, c’est tout. Rien que des immigrés illégaux. Les États-Unis et les pays de l’Union européenne ne font-ils pas la même chose ? 

La transformation de citoyens de plein droit en immigrés illégaux n’est pas si difficile. La stratégie est en fait très simple si les étapes sont franchies dans le bon ordre. Voyons ensemble ce qu’a fait la République dominicaine — une recette à suivre par tout pays qui voudrait se lancer dans la purification ethnique en toute légalité. 

  1. D’abord, vous instaurez une discrimination non officielle dans l’attribution des certificats de naissance. Vous ne tenez pas compte des clauses constitutionnelles qui accordent la citoyenneté sur la base du lieu de naissance. Vous inventez des obstacles pratiques et administratifs pour les parents ; vous réclamez à la mère des documents prouvant sa citoyenneté dominicaine pour pouvoir enregistrer son enfant même si cela viole à la fois le principe de citoyenneté sur base du lieu de naissance et le droit d’un père dominicain de transmettre la citoyenneté dominicaine à ses enfants. Vous vous assurez ainsi qu’une grande partie de la population visée n’est pas officiellement reconnue même s’il s’agit de personnes nées en République dominicaine.
  1. Changez la constitution. Débarrassez-vous de cette notion de citoyenneté sur base du lieu de naissance, faites de la nationalité des parents une condition incontournable. C’est ainsi que ça se passe dans beaucoup de pays respectables, et vous pouvez minimiser les arguments de l’opposition en ajoutant une clause qui garantit que ceux qui « jouissent » déjà de la citoyenneté au moment du changement resteront citoyens dominicains. Tant qu’à faire, ajoutez des clauses créant un tribunal constitutionnel chargé d’interpréter la constitution.
  1. Et maintenant une mesure hardie, à exécuter rapidement : décrétez que les décisions de ce tribunal constitutionnel auront un effet rétroactif — disons de 75 ans. Non, en fait, c’est la constitution précédente qui a été mal interprétée pendant toutes ces années — elle ne voulait pas dire ce qu’elle disait. Bref, d’une façon ou d’une autre, ça revient au même. L’État dominicain lui-même se trompait. Ca arrive aux meilleurs d’entre nous. 

Mais rassurez tout le monde : il ne s’agit pas de retirer la nationalité, puisque les personnes concernées ne l’ont en fait jamais eue. Rappelez-vous : on peut se tromper, et remercions le ciel pour ce tribunal constitutionnel qui peut remédier à une erreur vieille de 75 ans. Par ailleurs, les personnes concernées ont très certainement une autre citoyenneté qui correspond à la couleur de leur peau. Vous voyez : ni perte de nationalité, ni apatridie. Pas de quoi s’énerver. 

  1. Néanmoins, l’étape 3 attirera sûrement l’attention internationale, aussi l’étape 4 est destinée à apaiser les esprits en exprimant quelque inquiétude devant cette décision du tribunal constitutionnel et en rappelant un attachement indéfectible aux droits humains et à la séparation des pouvoirs : promettes qu’un procédé juridique sera trouvé pour faire en sorte que personne n’ait à en pâtir.
  1. Huit mois après cette décision, faites en sorte que le pouvoir exécutif introduise (et que le parlement vote à l’unanimité) une législation complexe qui divise les personnes affectées en deux groupes, selon qu’ils ont ou non un acte de naissance, et donnez à ceux qui en ont un le droit de le faire « valider » (même s’il est entendu qu’il avait été attribué à tort) et d’obtenir la citoyenneté, tandis que ceux qui n’en ont pas devront se faire enregistrer en tant qu’étrangers, acquérant ainsi un droit de séjour et la possibilité de peut-être devenir un jour des citoyens naturalisés par une procédure non spécifiée. 

Vous vous souvenez de la première étape ? Ce refus officieux de certificat de naissance qui est aujourd’hui systématique mais discriminatoire s’avère fort utile puisqu’en fait c’est un cadeau que vous faites à ces gens qui n’ont pas de preuve qu’ils sont nés dans le pays en ne leur donnant aucun droit. La transformation d’un groupe de citoyens de naissance en étrangers déportables est presque complète.

Certaines cours internationales des droits de l’homme pourraient essayer d’enrayer le processus en faisant remarquer que, de manière globale, il viole le droit international (politique de refus des certificats de naissance, jugement constitutionnel, législation) et vos obligations aux termes de traités. Mais vous pouvez utiliser le tribunal constitutionnel pour répliquer (dans les dix jours) que vous ne dépendez pas de cette cour internationale (même si vous étiez sensés dépendre de sa juridiction pendant quelques décennies, il y avait un vice de forme dans l’acceptation). L’État dominicain était fort maladroit au cours du 20e siècle, cela n’a échappé à personne. Nous y remédions.

Mais d’abord:

  1. Faites semblant d’essayer d’appliquer la législation en créant quelques bureaux (trop peu, trop tard) pour traiter les demandes d’enregistrement en tant qu’étrangers. Cette démarche est essentielle pour donner une légitimité à la législation, qui elle-même (vous vous souvenez ?) devait neutraliser l’inquiétude suscitée par l’inconstitutionnalité du jugement du tribunal constitutionnel et ainsi étouffer les protestations internationales. Si vous êtes vraiment doués vous pouvez même faire en sorte que des pays plus riches contribuent aux frais d’enregistrement en tant qu’étrangers de vos citoyens auxquels vous avez retiré leur certificat de naissance. Et les empêcher de se montrer critiques en expliquant qu’il faut du temps pour appliquer la loi. 
  2. L’étape finale, une fois le délai pour l’enregistrement des « étrangers » expiré, mettez vous à déporter ceux qui n’ont plus de papier. Ce n’est pas bien, mais vous n’avez fait que suivre les instructions, vous êtes couverts juridiquement. Vos citoyens de naissance sont devenus des immigrés sans papier — tout est parfait. Et ça n’a pas pris dix ans. 

Et maintenant les enfants, à vous d’appliquer la recette à votre propre pays !

 

Adresse et contact

FOKAL - OPEN SOCIETY FOUNDATION HAITI
143, Avenue Christophe BP 2720 HT 6112
Port-au-Prince,Haïti | Tel : (509) 2813-1694

logos 3

 

 

 

 

Mots-clés

S'abonner à nouvèl FOKAL

Copyright © 2017 FOKAL. | Design by: jehilaire@logipam.com